Angers Nantes Opéra : IPHIGÉNIE EN TAURIDE, ou la Fatalité tragique à l’épreuve de la douceur angevine

Crédit photos : © Jean-Marie Jagu

Angers Nantes Opéra ouvre sa saison 2020-2021 avec une nouvelle production d’IPHIGÉNIE EN TAURIDE signée Julien Ostini. Diego Fasolis dirige. Le public est au rendez-vous et apprécie !

Chaque première, en ce début de saison 2020-2021, apporte son lot d’émotions, d’inquiétudes et d’espoir. Celle d’Iphigénie en Tauride, qui marque la réouverture du Grand Théâtre d’Angers après une fermeture forcée pour cause de pandémie, ne fait pas exception : dans un discours préliminaire, Alain Surrans, le directeur d’Angers Nantes Opéra, fait part de sa reconnaissance envers ses équipes mais aussi de sa fierté d’avoir pu ouvrir cette saison comme prévu, malgré les circonstances – et moyennant quelques adaptations : la jauge du Grand Théâtre a bien sûr dû être revue à la baisse, et les choristes garderont leur masque pendant tout le spectacle, même lorsqu’ils chanteront. Mais ce soir, l’émotion, c’est aussi celle d’ouvrir la saison avec une nouvelle production, ce qui ne s’était pas vu à Angers depuis 2007. Au terme de deux heures de musique et de tragédie, à peine interrompues par un court entracte, la soirée est couronnée par un très beau succès !

Deux maîtres d’oeuvre

Pour l’occasion, Angers Nantes Opéra a fait appel à deux maîtres d’œuvre, principaux artisans de cette réussite : d’une part à un chef réputé dans le répertoire baroque (Diego Fasolis, qui a notamment dirigé l’œuvre à Salzbourg en 2015 dans une mise en scène de Moshe Leiser et Patrice Caurier avec notamment Bartoli, Villazón et Maltman), d’autre part à un jeune metteur en scène particulièrement en vue en ce moment (directeur du festival de Linières, il mettra en scène La Nonne sanglante à Saint-Étienne à partir du 06 novembre). Le premier extirpe l’œuvre du carcan marmoréen dans lequel on l’a longtemps maintenue pour la laisser respirer et exhaler librement les émotions ainsi que toute la teneur tragique et pathétique qu’elle recèle. Certains détails étonnent parfois (la surexposition des cuivres dans « Je t’implore et je tremble », certains tempi aussi (ceux de la confrontation d’Oreste et Pylade à l’acte II, notamment, sont un peu rapides, et l’émotion suscitée par la plainte des deux amis « Dieux, fléchissez son cœur » ou celle de Pylade « Ah, mon ami, j’implore ta pitié ! » serait peut-être plus grande si elle prenait plus le temps de s’épancher pleinement. Mais l’œuvre vit, le drame avance, et, aidé d’un orchestre attentif et scrupuleux et d’un chœur pleinement impliqué (en dépit de certaines attaques un peu floues et d’une homogénéité qui pourrait être supérieure chez les sopranos), le chef offre à la tragédie un cadre propice à l’expression des passions qui déchirent les personnages. La mise en scène de Julien Ostini, vive, colorée, rythmée, s’accorde parfaitement à cette vision. Le metteur en scène ne cherche pas à réactualiser le propos du musicien et de son librettiste : il fait confiance à l’œuvre et au public pour tisser les liens entre le mythe et l’époque contemporaine, voire l’actualité la plus brûlante (rarement le chant d’Iphigénie « Apaise-t-on les dieux par des assassinats ? » aura sonné avec autant d’urgence tragique…) Le décor, dépouillé sans donner pour autant l’impression de dénuement, joue la carte d’un symbolisme limpide : quelques éléments verticaux (des colonnes, un pan de mur) qui s’écroulent au fur et à mesure que la tragédie gagne en intensité, un immense cercle de pierre qui surplombe la scène, symbolisant la présence divine de Diane avant son épiphanie lors du deus ex machina final, et dont les inscriptions cabalistiques sont comme le signe de l’indéchiffrable volonté des dieux… À cela s’ajoutent quelques images fortes : l’omniprésence des « noires Euménides », à laquelle seule l’apparition finale de Diane mettra un terme ; le rôle dévolu aux prêtresses qui, par leur attitude et leurs gestes, prolongent la douleur d’Iphigénie (leur empathie est d’ailleurs soulignée par la similitude de leurs costumes), ou forment un rempart pour protéger Oreste de Thoas au dénouement ; ou encore le sacrifice d’un Oreste, apparaissant presque nu, dans une image quasi christique, lorsqu’il est conduit à l’autel.

 

Une distribution francophone

La distribution, intégralement française (anglo-française en ce qui concerne Oreste), offre de belles satisfactions. Le rôle d’Iphigénie peut être confié à des voix larges et puissantes (Callas, Crespin, Vaness, Gorr s’y sont illustrées) ou, dans une esthétique en générale baroque, à des voix plus légères et à la projection plus modeste (Diane Montague autrefois, dans l’enregistrement de Gardiner, Bartoli aujourd’hui). Marie-Adeline Henry, qui est aussi une Madame Lidoine, une Tatiana, une Jenůfa, appartient a priori plutôt à la première catégorie d’interprètes. De fait, elle se montre souvent plus à l’aise dans les envolées lyriques ou l’expression de la révolte, où sa puissance vocale impressionne, que dans le registre de la plainte, où elle a un peu de mal (du moins en début de soirée) à canaliser ses (grands) moyens. Le registre aigu de la tessiture la pousse parfois dans ses retranchements, surtout dans l’écriture particulièrement tendue de « Ô malheureuse Iphigénie », mais enfin cet air a souvent donné du fil à retordre aux plus grandes ! Et finalement, la soprano y fait de nécessité vertu, en transformant de façon intéressante et plutôt originale cette déploration en un cri de révolte. Élodie Hache est une Diane à l’accent impérieux. Elle chantera le rôle-titre à deux reprises, les 16 et 19 décembre, lors des représentations nantaises. Jean-Luc Ballestra fait preuve d’une belle autorité en Thoas, malgré un registre aigu qui, ce soir, a paru fragilisé : peut-être une méforme passagère ? Le couple Oreste Pylade est, quant à lui, excellent. Le baryton clair de Charles Rice et le ténor sombre de Sébastien Droy se marient admirablement, et cette proximité de couleurs permet de souligner de façon heureuse l’aspect fusionnel de l’amitié qui unit les personnages. Sébastien Droy, en grande forme vocale, brosse un Pylade à la fois viril et émouvant ; quant à Charles Rice, que le public angevin a déjà applaudi en Onéguine et Hamlet, il traduit remarquablement les affres de la conscience d’Oreste, torturé par son matricide, par un chant noble porté par une diction d’une clarté remarquable.

Au rideau final, le public, visiblement conquis, accueille tous les artistes par de longs et chaleureux applaudissements !

Le voyage de Stéphane Lelièvre a été pris en charge par Angers Nantes Opéra.

Les artistes

Iphigénie Marie-Adeline Henry
Oreste Charles Rice
Pylade Sébastien Droy
Thoas Jean-Luc Ballestra
Diane Élodie Hache
Un Scythe Benoit Duc
Le Ministre de Thoas Nikolaj Bukavec
Première Prêtresse Hélène Lecourt
Deuxième Prêtresse Laurence Dury
Une Femme grecque Florence Dauriach
Danseuses Léa Béchu / Blandine Brasseur / Jeanne Stuart

Orchestre National des Pays-de-la-Loire, chœur d’Angers Nantes Opéra, dir. Diego Fasolis 
Mise en scène, scénographie et costumes Julien Ostini

Le programme

Iphigénie en Tauride, tragédie lyrique en quatre actes de C.W. Gluck, livret de N.-F. Guillard, créée en 1779 à l’Académie royale de musique.
Représentation du 23 octobre 2020.