Soirée BIZET à la Cité de la Musique : le charme de Reinoud van Mechelen et Anthony Romaniuk au service de la mélodie française

La formule des concerts « voix/piano » n’est pas a priori de celles que je préfère… Pourtant, ce concert Bizet proposé en cette soirée du 10 juin fut plein de vigueur, de charme, de tonicité et de poésie ! D’abord, nous n’avons pas vu un chanteur et son pianiste accompagnateur : nous avons découvert deux complices aux talents qui se liaient de fort belle façon. Le tout dans le très agréable Amphithéâtre de la Cité de la Musique, dont on connaît beaucoup plus la grande salle de concert. Pour des récitals de ce type, ou de la musique de chambre, l’endroit est idéal, avec une acoustique claire et aérée et une disposition en gradin fort confortable… même pour les grands !

Le programme proposé, alternant mélodies et pièces pour piano, comportait non seulement des pièces de Georges Bizet, mais aussi de Lassen, Liszt, Viardot et Chopin : découvrez-en le détail à la fin de cet article dans la rubrique « le programme ».

Présentons déjà nos interprètes. Le ténor belge Reinoud Van Mechelen a, en quelques années, suivi un parcours qui impressionne, l’ayant conduit de l’Académie Baroque Européenne d’Ambronay en 2007 à l’Opéra de Paris (où il chanta Jason dans Médée en 2024) via les plus grandes scènes (Royal Liverpool Philharmonic, Monnaie de Bruxelles, Festival de Radio-France Occitanie Montpellier), sous la direction des meilleurs chefs du moment (Hervé Niquet, William Christie, Sir Simon Rattle).
Anthony Romaniuk, de son côté, se présente lui-même comme « claviériste », pratiquant clavecin, piano, pianoforte et « claviers » au sens plus large. Obsédé par le jazz dans sa jeunesse en Australie, il a étudié le piano classique à la Manhattan School of Music de New York, se spécialisant d’abord en musique ancienne, puis abordant des domaines aussi variés que l’improvisation, le rock indépendant et la musique électronique ambient. Comme récitaliste classique, son répertoire s’étend de Byrd, Bach, Beethoven, Chopin, Liszt et Brahms, à Ligeti, Crumb et la musique contemporaine.

Excellente idée que ce concert consacré prioritairement aux mélodies de Bizet, assez peu présentes, reconnaissons-le, tant dans les programmes des concerts que dans l’édition discographique, même si le coffret récemment publié par le Palazzetto Bru Zane en propose une riche sélection. À la qualité de la musique s’ajoute bien souvent celle des textes : le jeune Bizet savait choisir les auteurs de ses textes, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’univers de la mélodie française…

Au bénéfice du ténor, il importe de saluer une articulation parfaite, jamais maniérée, ce qui n’est pas toujours simple dans ce répertoire.  Chaque mélodie proposée est une ouverture sur un univers précis où les miroitements du piano forment un écrin idéal pour la voix du ténor, tour à tour charmeuse, amoureuse ou nostalgique.

Une découverte nous est proposée (en tout cas pour moi), celle du compositeur danois Éduard Lassen (1830-1904). Formé au Conservatoire Royal de Belgique, ce Prix de Rome (1851) fut soutenu par Ludwig Spohr et Franz Liszt. Ce dernier le recommanda à la Cour de Weimar où il assuma la direction des orchestres de l’Opéra et de la Cour. Il dirigea plusieurs créations mondiales, dont celle du Samson et Dalila de Saint-Saëns le 02 décembre 1877. Il composa trois opéras, de la musique de scène, deux symphonies, ainsi que de la musique chorale et pour piano.

Plusieurs de ses mélodies, traduites en anglais et en français, ont été populaires à la fin du XIXe siècle. Reinoud Van Mechelen et Anthony Romaniuk ont participé avec chaleur et talent à la redécouverte de ce compositeur, par leur album paru chez Musique en Wallonie (MEW2099) en 2022. Les 4 mélodies de Lassen interprétées ce 10 juin donnent envie de découvrir ce cd…

Deux ravissantes mélodies de la compositrice Pauline Viardot complétaient avec délicatesse ce florilège de mélodies méconnues. N’oublions pas deux belles mélodies de Liszt qui nous rappellent que Paris n’a pas entendu depuis très longtemps ses superbes Lieder avec orchestre… Enfin, en guise d’intermèdes, ce concert bénéficiait de deux pages pour piano seul, où Anthony Romaniuk fit preuve tant de virtuosité que de poésie (Liszt) et d’entrain chatoyant (Chopin).

Le traditionnel « bis » nous permit d’entendre la célèbre et périlleuse aria de Carmen, « La fleur que tu m’avais jetée ». Nouvelle incursion de Reinoud Van Mechelen dans l’opéra bizétien après son récent Nadir, et porte ouverte vers de possibles nouvelles incursions dans l’opéra romantique français ?…

Avec Van Mechelen et Romaniuk, ce soir-là, tout avait l’air simple et coulant de source. Pourtant, que de difficultés dans ces mélodies, tant dans les lignes musicales que dans les différentes prosodies. La complicité évidente des deux interprètes faisait plaisir à voir – et à entendre, surtout ! Nous guetterons le prochain concert où se produira ce pianiste aux talents multiples, et tout autant les représentations d’opéras qui permettront d’apprécier le ténor belge dans un rôle complet.

Les artistes

Reinoud van Mechelen, ténor
Anthony Romaniuk , piano

Le programme
Georges BizetLe matinAimons, rêvons ! Edouard LassenRomanceSi vous n’avez rien à me direLa coccinelleEn passant ! Franz LisztLa lugubre gondole S 200 n° 1Enfant si j’étais roiOh quand je dors Georges BizetSonnetMa vie a son secret Pauline ViardotGentilles hirondellesChant du soir Frédéric ChopinMazurka en la bémol majeur op. 50 n° 2 Georges BizetSi vous aimezVoyageLa nuit Bis : Carmen « La fleur que tu m’avais jetée »