Goyescas – Raretés hispaniques en ouverture de saison à Limoges

Si la crise sanitaire a sensiblement bousculé les programmations, elle a parfois été l’opportunité de  susciter d’intéressants projets sous contraintes techniques – et budgétaires. Ainsi en est-il de la production des Goyescas de Granados, qui ouvre la saison de l’Opéra de Limoges. Alain Mercier, le directeur de l’institution limousine avait déjà mise à l’affiche la suite pour piano en 2014 dans un diptyque scénique réglé par Sergio Simon, où elle était associée à L’amour sorcier de Falla. Mais l’opus lyrique que le compositeur espagnol a écrit à la demande de l’Opéra de Paris après la première française de la suite, en 1914, et qui a été créé  au Metropolitan Opera à New York en 1916, reste très rarement donné, à plus forte raison hors d’Espagne. Les deux concerts programmés à Limoges constituent donc un événement, d’autant que, à défaut d’avoir inscrit les deux versions dans une seule soirée, elles sont données successivement au cours d’un week-end, permettant ainsi un parcours au cœur de la fascination de Granados pour l’univers de Goya.

C’est d’abord la suite qui est présentée par Jean-François Heisser le samedi soir dans le Foyer, avec une introduction historique et musicographique qui permet de se familiariser avec l’univers de Granados, et trois Danses espagnoles en guise d’apéritif avant le cycle des Goyescas, interprétés avec un sens de la narration qui n’oublie jamais l’attention à une structure formelle parfois complexe. Le lendemain, le public redécouvre la mouture opératique dans la grande salle, avec un léger dispositif vidéographique conçu par le duo Le lab, formé par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, en résidence pour un nouveau cycle triennal à l’Opéra de Limoges. Sur un tulle en fond de scène où sont répartis les effectifs du choeur, préparés par Elisabeth Brusselle, sont projetées les créations graphiques de Julien Roques, animées par Timothée Buisson et modulés grâce aux lumières de Christophe Pitoiset, qui réinterprètent, dans des fluorescences électroluminescentes, les figures et les scènes de majos de Goya, sur un ton ludique aux vertus distrayantes, illustrations qui ne prétendent nullement à l’orthodoxie historique et renouvellent la – supposée – austérité du concert.

L’essentiel reste une partition évocatrice, qui ne manque pas de puissance expressive, sans se départir d’une noblesse d’inspiration, et dont Robert Tuohy, directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de Limoges depuis 2013, met en évidence les saveurs. Des quatre personnages du drame, c’est la Rosario de Vanessa Goikoetxea qui retient l’attention. La soprano hispano-américaine fait valoir un engagement dramatique évident, sensible dans une présence forte et les nuances d’une tessiture large, au médium nourri qui n’hésite pas à prendre des teintes sombres. En Fernando, Kévin Amiel affirme un lyrisme franc qui privilégie l’immédiateté du sentiment et contraste avec le Paquiro robuste d’Armando Noguera, à la carrure marquée. Héloïse Pepa distille, dans les quelques répliques qui lui sont dévolues, la fraîcheur de Pepa, tandis que du chœur de se détache l’intervention de Pénélope Denicia, pour une voix isolée dans la foule. Une belle redécouverte et une expérience comparative enrichissante qui confirment le travail de renouvellement de l’expérience lyrique à l’Opéra de Limoges, où, à l’inverse parfois d’institutions plus prestigieuses, l’argent ne précède pas les idées.


Les artistes

Jean-François Heisser, piano

Rosario Vanessa Goikoetxea
Fernando Kévin Amiel
Paquiro Armando Noguera
Pepa Héloïse Mas
Une Voix Penélope Denicia (artiste du Chœur de l’Opéra de Limoges)

Cheffe de chant : Elisabeth Brusselle

Conception : Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil > Le Lab
Création graphique Julien Roques
Animation Timothée Buisson
Lumières Christophe Pitoiset

Orchestre et chœur de l’Opéra de Limoges (Edward Ananian-Cooper, direction)
Direction musicale Robert Tuohy

Le programme

Goyescas
Suite pour piano d’Enrique Granados – 1911

Opéra en un acte et trois tableaux d’Enrique Granados sur un livret de Fernando Periquet – 1916

Version concert, Opéra de Limoges dimanche 7 novembre 2021, 15h