Rinaldo céleste à l’Opéra de Rennes

Crédit photos : © Laurent Guizard

Qu’il est doux de se laisser surprendre par un spectacle, qu’il est bon de goûter ainsi une telle musique, qu’il est rare de ressentir de si doux frissons à l’opéra.

Cette production du Rinaldo de Haendel, créée en 2018 par la co[opéra]tive, était précédée d’une réputation flatteuse généralement due à l’intelligence et à l’inventivité de la première mise en scène d’opéra de Claire Dancoisne. Le critique, bien informé, arrive donc préparé à vivre un moment de théâtre et une soirée musicale sinon captivants, du moins réussis et agréables. « N’admettez rien a priori si vous pouvez le vérifier. » comme le disait si bien Rudyard Kipling. Que voilà une bonne leçon !!!

Bien sûr, cette mise en scène est une réussite tant l’univers baroque de Claire Dancoisne semble coller à merveille avec l’opéra seria haendellien et nous y reviendrons. Mais surtout, il se passe en fosse comme une petit miracle rare de naturel, de respiration, de précision et d’intelligence. Que Damien Guillon soit un grand artiste, nous n’en doutions pas, mais voilà qu’un grand chef haendélien se révèle à Rennes. On aime cette attention aux chanteurs, la justesse des tempi, cette science du da capo, cette direction subtile, contrastée et inventive et cet esprit de liberté et de calme qui flottera sur cette représentation. Pour un soir de première, on demandera au chef quel sortilège Armida lui aura confié pour parvenir ainsi à un tel égrégore. Le poncif nous porterait à dire que les plus grandes salles devraient bientôt s’arracher un chef de cette trempe. La réalité serait plutôt de saluer cette grande maison qu’est l’ Opéra de Rennes pour avoir eu, avant les autres, le talent de choisir Le Banquet Céleste et son directeur musical comme ensemble en résidence dans ses murs.

Pour sa première fois en fosse à l’Opéra de Rennes, Le Banquet Céleste, ensemble de musicien.ne.s réuni.e.s autour de Damien Guillon, s’est montré dans une forme éblouissante et d’un investissement remarquable. Dès l’ouverture, la virtuosité et la précision des cordes font mouche et elles ne se départiront pas de cette haute tenue tout au long de la soirée (Ah ! Ces pizzicati…). Les théorbes seront saisissants  et incisifs comme rarement. Hautbois et basson répondront présents aux moments les plus poétiques (« Ah, crudel ») et acrobatiques de la partition (« Venti, Turbini » un soupçon tendu tout de même mais bien négocié). Les trompettes nous gratifieront d’un « Or la tromba » viril à l’humour inattendu. N’oublions pas un continuo inspiré et le clavecin virtuose de Kevin Manent-Navratil dans le concertant « Vo far guerra ». La partition de Rinaldo semble être écrite pour mettre Le Banquet Celeste en valeur et c’est une réussite.

Les chanteurs ne sont bien sûr pas en reste et c’est de Thomas Dolié que viendra le premier des nombreux frissons de plaisir de la soirée. Le baryton ne fait qu’une bouchée du rôle d’Argante et son « Sibilar, gli angui d’aletto » est un modèle de virtuosité, d’impact dramatique et de longueur de souffle. Emmanuelle De Negri est une Almirena d’un naturel et d’une présence confondants. Il est toujours étonnant de constater comme certains artistes savent prendre la lumière dès qu’ils entrent en scène. La soprano fait partie de ceux-là assurément. Tempérament et musicalité, combo parfait qui nous offre ainsi un « Lascia ch’io pianga » investi et bien chantant, loin des interprétations souffreteuses qu’on nous donne parfois à entendre. Blandine de Sansal met au service de Goffredo son beau métal sombre et virtuose même si l’interprète manque parfois un peu d’autorité. Nouvelle sur la reprise de cette production, cette talentueuse mezzo-soprano devrait rapidement nous montrer l’étendue de son talent lors des prochaines représentations. Aurore Bucher est Armida impétueuse, vamp maléfique et volcanique n’hésitant pas à sacrifier parfois la rondeur de la voix au service de l’expression. Un tempérament qui n’est pas sans rappeler une certaine Cecilia Gasdia dans la version live, musicologiquement moins informée, de John Fisher avec Marilyn Horne à la Fenice de Venise en 1989. Dans cette version 2021, pas de mezzo-soprano poitrinante mais un contre-ténor au timbre sombre et puissance, Paul-Antoine Bénos-Djian. Son Rinaldo est virtuose, poétique, sensible et élégant. Point d’effets spectaculaires aux extrêmes de la tessiture de la voix mais une tenue et une sûreté confondantes nonobstant un léger flottement au début du da capo de son « Cara sposa ». Mi-Don Quichotte mi-d’Artagnan, son incarnation est un modèle de sobriété et de légèreté. Un grand Rinaldo ! On n’oubliera surtout pas les comédiens Gaëlle Fraysse et Nicolas Cornille, parfaits dans la foultitudes d’oiseaux, de cerbères et furies dont ils sont l’incarnation scénique.

Et cette mise en scène alors ? C’est une réussite, on l’a dit, et on se doit de remercier la metteuse en scène, Claire Dancoisne, d’avoir laissé la place à la musique en évitant de surcharger inutilement l’action d’effets parasites. Son univers, « baroque » comme elle le qualifie elle-même, colle à merveille à la partition de Haendel. Du livret, elle choisie de privilégier la magie, le surnaturel et l’amour et de mettre de côté la guerre de religion. Nous voilà donc embarqués dans un univers de machines étranges, d’ombres chinoises, de bestioles fantasmagoriques, d’apparitions troublantes, de marionnettes inquiétantes… et de soldats de plomb. Un espace-temps étonnant de beauté et d’humour, magnifié par les costumes et maquillages inspirés d’Elisabeth de Sauverzac et le clair-obscur des lumières signées Hervé Gary. La direction d’acteurs de Claire Dancoisne est précise et les personnages sont bien caractérisés même si l’on s’étonne que cette adepte du mouvement en ruptures et en angles n’ait pas plus cherché à marquer les attitudes physiques de ses acteurs-chanteurs. Contrainte du corps chantant ou choix délibéré de ne pas sacrifier la musique au spectacle ? On ne sait mais, en tous cas, ce Rinaldo est une réussite scénique et musicale indiscutable qu’il serait dommage de rater.

Opéra de Rennes 29 et 30 septembre, 02 et 03 octobre 2021
Besançon 6 et 7 octobre 2021
Théâtre Sénart 10 octobre 2021
Quimper – Le Théâtre de Cornouaille 13 et 14 octobre 2021
Atelier Lyrique de Tourcoing (Théâtre Raymond Devos) 13 et 14 novembre 2021


Les artistes

Damien Guillon, direction musicale
Claire Dancoisne, mise en scène
Elisabeth de Sauverzac, costumes
Hervé Gary, lumières
Marie Liagre, assistante à la mise en scène

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Paul-Antoine Bénos-Djian, Rinaldo
Blandine de Sansal, Goffredo
Emmanuelle De Negri, Almirena, sa fille
Aurore Bucher, Armida
Thomas Dolié, Argante

Gaëlle Fraysse, Nicolas Cornille, comédiens

Marie Rouquié, Violon solo
Sandrine Dupé, Liv Heym, Violons I
Simon Pierre, Morag Johnston, Paul Monteiro Violons II
Deirdre Dowling, Patricia Gagnon, Altos
Antoine Touche, Julien Hainsworth, Violoncelles
Christian Staude, Contrebasse
Bruno Helstroffer Music, André Henrich, Théorbes
Kevin Manent-Navratil, Clavecin solo
Patrick Beaugiraud, Guillaume Cuillier, Hautbois
Robin Billet, Basson
Guy Ferber, Xavier Gendreau, Trompettes
Hervé Trovel, Timbales

Le programme

Rinaldo
Opera seria
en trois actes de Georg Friedrich Haendel
Livret de Aaron Hill et Giacomo Rossi
Crée au Haymarket de Londres le 24 février 1711

Production présentée pour la première fois à Quimper en janvier 2018 sous la direction de Bertrand Cuiler – Le Caravansérail

Recréation 2021 Le Banquet Céleste, la co[opéra]tive, l’Opéra de Rennes
La co[opéra]tive : Les 2 Scènes / Scène nationale de Besançon, le Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, le Bateau Feu / Scène nationale de Dunkerque, le Théâtre de Cornouaille / Scène nationale de Quimper

Coproduction L’Entracte / Scène conventionnée de Sablé-sur-Sarthe, Théâtre-Sénart / Scène nationale

En partenariat avec Le Théâtre de La Licorne