Les festivals de l’été – Griselda de Scarlatti à Martina Franca
Crédit photos : © Clarissa Lapolla
Par-delà les questions musicologiques indissociables de la redécouverte de partitions oubliées ou de l’exploration de nouvelles sources, qui constitue l’une des colonnes vertébrales du Festival de Martina Franca, la programmation de l’édition 2021 offre un panorama d’options scénographiques, intimement lié à la nature des ouvrages représentés. Si l’abrégé du récit biblique de La creazione de Haydn se traduit naturellement en un kaléidoscope d’images et d’allégories, tandis que l’économie bucolique de L’Angelica de Porpora appelle l’illustration pour étoffer un argument assez léger, Griselda, dernier opéra de Scarlatti dont la Lira di Orfeo et Luca della Libera ont réalisé une nouvelle édition critique en vue de la présente production, à l’heure de la commémoration du tricentenaire de la création de l’œuvre, affirme une complexité dramatique propice au travail de symbolique théâtrale.
Inscrite dans la scénographie minimaliste de Tiziano Santi, qui tire habilement parti des contraintes de la cour du Palazzo ducale, la mise en scène de Rosetta Cucchi dépasse la simple translation spatio-temporelle de l’intrigue dans la Sicile des premières années du novecento, pour proposer, dans un langage qui n’oublie pas la force des symboles, une réinterprétation du contrepoint entre raison du cœur et raison d’Etat autour duquel s’articulent nombre de livrets d’opéras baroques, et dont cet opus inspiré du Décaméron de Boccace s’avère un avatar admirable qui n’oublie pas la variété des registres. Sous les lumières tamisées de Pasquale Mari, les accessoires qui meublent le plateau sans l’encombrer inutilement s’inscrivent dans cette relecture dramaturgique : une bergère pastel aux motifs évoquant le Rococo, cinq confessionnaux auxquels se substituent ensuite des sculptures en plexiglas réalisées par Davide Dall’Osso et représentant des figures féminines à demi effacées sous un voile. À l’heure du dénouement, l’une d’elle, en gros plan, prendra la place du canapé. Ce jeu métaphorique, qui s’origine dans une cruelle tradition sicilienne éliminant, encore au début du vingtième siècle, pour des raisons économiques, les nouveaux-nés de sexe féminin, traduit avec une indéniable efficacité poétique le destin de Griselda. Évocateurs plutôt que strictement documentaires, les costumes dessinés par Claudia Pernigotti participent de cette économie au service d’une lecture qui, par une certaine décantation, traverse le clivages des époques.
Dans le rôle-titre, Carmela Remigio décline une remarquable palette expressive. La maîtrise des couleurs et des intonations façonne l’évolution psychologique du personnage, dans une belle synthèse entre les ressources de la voix et du théâtre. En Gualtiero, Raffaele Pe affirme un contre-ténor souple, dans la lignée d’un Lawrence Zazzo, expert dans les nuances du sentiment plus que dans la vaillance. Si son entrée souffre de quelques menues timidités, l’incarnation s’épanouit rapidement et fait entendre une intéressante consistance dans la tension entre l’époux et le roi. L’androgynie homogène de Francesca Ascioti résume la cruauté jalouse et vindicative d’un Ottone qui ne manque pas d’éclat. Mariam Battistelli séduit avec une Costanza juvénile jusque dans le timbre, face au Roberto non dénué de suavité de Miriam Albano. Krystian Adam défend la carrure souveraine de Corrado, sans perdre de son humanité. Carlo Buonfrate ne démérite pas dans les interventions d’Everardo.
Dans la fosse, George Petrou propose une lecture concentrée, sans appuyer inutilement les contrastes – se remettant pour cela aux césures de la mise en scène, à l’exemple de l’interversion des scènes V et IV de l’acte II pour faire tomber le rideau de la première partie sur la déréliction de Griselda. Les effectifs du Coro Ghislieri, préparés par Giulio Prandi, participent – de manière plus congrue que dans La creazione de Haydn – à la réussite d’un spectacle qui n’hésite pas à soumettre parfois l’exhaustivité musicologique à l’efficacité théâtrale. Une gravure discographique pourra pallier les coupures que les dimensions raisonnables d’une représentation ont pu exiger.
Griselda : Carmela Remigio
Costanza : Mariam Battistelli
Gualtiero : Raffaele Pe
Ottone : Francesca Asciotti
Corrado : Krystian Adam
Roberto : Miriam Albano
Everardo, rôle muet : Carlo Buonfrate
Chœur Ghislieri ; Ensemble La Lira di Orfeo, dir. George Petrou
Mise en scène : Rosetta Cucchi
Décors : Tiziano Santi
Costumes : Claudia Pernigotti
Lumières : Pasquale Mari
La Griselda
Dramma per musica en trois actes de Scarlatti, livret d’Apostolo Zeno, créé à Rome en 1721.
Festival della Valle d’Itria, Martina Franca, représentation du 29 juillet 2021.